

mai - juin 2016
•
anform !
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psycho
avec le monde. Il ya donc une relation
directe entre le salaire et le “soi”. Le
choix de ne pas révéler son salaire tra-
duit souvent une crainte d'être réduit
àce que l'on gagne. Car derrière ce
tabou peut se cacher la crainte de la
jalousie, de la comparaison sociale,
la menace du jugement et la brutalité
du regard de l'autre. S'il est difficile de
parler d'argent, c'est aussi parce que
cela suppose d'accepter d'être évalué.
En effet, dans le “combien je gagne”,
nous ne sommes pas très loin du
“combien je vaux” !
TROUVER DU SENS
Nous avons, pour la plupart, peur de
parler de notre salaire. Pourtant, nous
ne pensons qu'à cela ! En Europe,
notre rapport au travail évolue et
s'inscrit dans une relation d'échange
d'un don contre une récompense :
tout travail mérite salaire ! Surtout
dans le contexte économique actuel
où la crainte de la dette et la peur
du manque ne sont jamais loin. Le
salaire semble être la motivation pre-
mière du travailleur ou du salarié. Ce
n'est d'ailleurs plus vraiment un tabou
quand nous devons négocier notre
récompense devant notre patron
ou lors d'un entretien d'embauche.
Faut-il en déduire que le fameux
“travailler plus pour gagner plus” a
fait sauter ce tabou ? Que, plus on
gagne, plus on est désinhibé vis-à-vis
de l’argent et motivé par son travail ?
Pas sûr ! Le psychologue américain
FrederikHerzberg a montré que si la
rémunération peut être un facteur
de mécontentement, elle ne suffit
jamais à motiver. Pourquoi ? Parce
que l’argent en soi n’est qu’un subs-
titut, une notion abstraite qui masque
notre désir profond. Voilàbien toute
l’ambiguïté de cet argent si durement
gagné. Il est ce qui nous fait vivre et
éventuellement courir, mais il est
aussi ce qui masque notre désir réel,
désir de se réaliser, de s’épanouir, de
trouver du sens àson travail. Un désir
qui, évidemment, ne se négocie pas.
Jacques Lacan explique que l’argent
n’a pas de valeur autre que celle du
signifiant. Comme il permet d’ache-
ter tout et n’importe quoi, il est en
attente de contenu et de sens. Ce qui
explique que, même quand nous en
avons, nous estimons que ce n’est
jamais assez. L'argent ne fait pas
le bonheur. Ce vieil adage prouve
que dans une société de consom-
mation, àla question :
“Combien tu
gagnes ?”
, nous répondons sponta-
nément par une notion d'argent. Et si
“gagner sa vie” pouvait se mesurer,
s'évaluer avec une échelle de bien-
être ou de réalisation de soi ?
Dans le “combien je gagne”,
nous ne sommes pas très loin
du “combien je vaux” !
“Parler d’argent,
c’est impoli !”
je ne parle pas de mon salaire,
ni avec mes amis, ni avec mes
collègues ! je gagne pour-
tant très bien ma vie. je suis
secrétaire de direction depuis
plus de 20 ans mais je ne suis
pas à l'aise avec cela. c’est de
l’ordre du privé. Nous sommes
sur une petite île et peut-être
est-ce une façon de me proté-
ger ? je ne veux pas susciter
la jalousie de mes amis ou de
mes voisins. dans ma famille, la
notion d'argent est assez tabou.
je pense même que l'argent
amène les conflits et les pro-
blèmes ! beaucoup d'histoires
familiales partent de là. les gens
sont prêts à se déchirer pour
avoir la part du gâteau dans
un héritage. mon salaire me
permet d'avoir une vie confor-
table et seul mon mari a besoin
de connaître le montant de ma
feuille de paie. Pour moi, parler
d'argent, c'est impoli !
Mathilde, 45 ans