98
anform !
•
novembre - décembre 2014
•••
2 QUESTIONS À…
Rekha Malton,
psychologue clinicienne
Rencontrez-vous beaucoup
d’enfants précoces en situation
difficile ?
De plus en plus. Ce sont
des enfants qui ont du mal
à respecter les règles de la
société. Des enfants sensibles
(la précocité rend l’enfant
sensible aux disfonctionnements
familiaux. Il est très affecté par
les conflits), souvent anxieux
(notamment face à la maladie,
la mort, la sexualité), hyperactifs
et peuvent présenter des
difficultés motrices. Ils ont des
problèmes relationnels avec les
autres enfants (car en décalage)
et recherchent la compagnie
d’enfants plus âgés ou des
adultes. Une de mes patientes,
une petite fille de 10 ans,
présente d’excellents résultats
aux tests de quotient intellectuel.
Pourtant à l’école, elle est en
échec scolaire. Elle s’isole, n’a
pas d’amis, est en conflit avec
les enseignants. Elle ne veut plus
aller à l’école.
Que peuvent faire les parents ?
Les parents sont souvent
désemparés. D’autant que
les enfants précoces sont la
plupart du temps ingérables
à la maison, prennent toute la
place, veulent tout maîtriser. Il
faut qu’ils soient identifiés. De
4 à 6 ans, on leur fait passer des
tests psychotechniques et, de 6
à 16 ans, des tests de QI. Il est
important qu’ils soient suivis par
un psychologue. Les parents
pourront participer à des groupes
de parole.
Et à la maison, comment
ça se passe ?
Ils peuvent être en révolte, désobéis-
sants, autoritaires. Avec les frères et
sœurs, il peut yavoir des conflits, mais
il existe une hypothèse génétique
selon laquelle lorsqu’il y a un enfant
précoce dans une famille, les chances
que ses parents, ses frères et sœurs le
soient aussi sont élevées.
Quel est le rôle
de l’entourage ?
C’est aux parents, enseignants et
spécialistes, de créer les meilleures
conditions pour qu’ils puissent se
développer harmonieusement. Les
parents doivent prendre le temps,
être patients, faire attention à ce qu’ils
disent (les EIP sont très sensibles à
l’injustice), discuter avec eux, instau-
rer des rituels (repas en famille…). Le
rôle de l’enseignant sera d’être attentif
aux indices susceptibles d’être liés à
la précocité afin d’éviter exclusion et
souffrance chez l’élève.
Faut-il pour autant
les placer dans des classes
spécialisées ?
Certains pensent qu’il est bon de les
“ghettoïser”. Il existe des écoles de
ce type où les enfants sont très bien
pris en charge. Tout se passe très bien
jusqu'à ce qu’ils se retrouvent dans la
vraie vie… Nous avons proposé aux
rectorats de Guadeloupe, de Marti-
nique et de Guyane, le regroupement
des EIP dans des établissements
“normaux”. Il s’agit de les placer avec
d’autres enfants (le taux d’EIP dans
une classe ne devant pas dépasser les
deux tiers)et des enseignants sensibi-
lisés, qui respectent leurs rythmes, ap-
profondissent avec eux les sujets abor-
dés. Pour le collège et le lycée, nous
avons proposé de les insérer dans des
classes habituellement dédiées aux
sportifs de haut niveau, des classes
aux emplois du temps adaptés.Quand
les autres feront du sport, ils auront
des activités spécifiques. Ces proposi-
tions sont actuellement à l’étude.
Quelles spécificités
aux Antilles-Guyane ?
Chez nous, les enfants précoces
n’ont pas accès à un volume suffisant
d’information, de structures (musées,
centres scientifiques et technolo-
giques…). Un enfant passionné d’art,
d’archéologie ou de technologie aura
du mal à aller plus loin. De plus, par
manque d'information, la précocité in-
tellectuelle est un problème largement
sous-estimé.