Previous Page  181 / 198 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 181 / 198 Next Page
Page Background

septembre - octobre 2015

anform !

181

Chacun ya ajouté son ressenti et on

peut arriver à quelque chose de très

différent de l’événement. Rien ne leur

appartient plus vraiment. Ni les fleurs

qu’ils ont déposées, ni leur peine”

,

estime le psycho-sociologue.

“J’AI L’IMPRESSIOn

QU’ELLE ME SOURIt”

Trois ans après le décès de Nicolas,

certains de ses amis écrivent toujours

sur son mur Facebookdes messages

d’anniversaire. Des pratiques qui

peuvent s’interpréter de différentes

manières. Lubin Budel estime, en

effet, qu’elles peuvent exprimer un

besoin de continuer à aimer le dé-

funt, mais aussi une forme de déni.

“Certains n’ont pas envie de faire le

deuil. C’est un refus plus ou moins

conscient de croire une réalité très

douloureuse”

, précise-t-il. Ainsi, c'est

via Facebook que Nathalie a pu ex-

primer le chagrin provoqué par le

décès d’une amie loin de chez elle.

“Quand j’ai appris le décès de Gé-

raldine, j’ai été très peinée. Je suis

allée écrire sur son mur et j’ai regar-

dé longuement ses photos. J’ai ainsi

pensé à elle pendant plusieurs jours

assez souvent dans la journée. Et

pour ne pas la perdre définitivement,

j’ai gardé son compte Facebook : je

voulais préserver un lien comme si

je refusais son départ. Je pense que

quelque part je n’ai jamais accepté

sa mort. Elle est partie trop jeune en

laissant sa petite de 3 ans. C’était

trop injuste. Mais curieusement de-

puis ce message d’au revoir, je ne

suis pas retournée sur son mur mais

je sais qu’elle est là. J’ai enregistré

une photo d’elle et je la regarde par-

fois. J’ai l’impression qu’elle me sou-

rit et qu’elle me voit”

, raconte-t-elle.

Si Nathalie tentait aujourd’hui de

consulter la page Facebook de Gé-

raldine, elle ne trouverait rien. Son

conjoint, Stephen, a en effet rapi-

dement fermé le compte.

“Ça n'a

pas été trop dur et cela est apparu

comme une évidence de le faire rapi-

dement. J'ai gardé les messages qui

étaient sur sa page. Je les montrerai

à notre fille plus tard”

, raconte-t-il.

Stephen n’a pas utilisé Facebook

pour annoncer le décès de sa com-

pagne. Il s’en est en revanche servi

pour remercier tous ceux qui lui

avaient témoigné soutien et sympa-

thie.

“J'ai été très touché par tous

les messages que j'ai reçus pendant

cette période. Ça n'a l'air de rien,

mais ça m'avait fait un bien fou. Cela

m'a permis de me rendre compte à

quel point Géraldine avait laissé de

bons souvenirs partout où elle était

passée”

, confie-t-il.

DÉCRYPtER LES MESSAGES

Ce soutien psychologique du web

participatif, Lubin Budel le considère

comme un point positif du processus

de deuil.

“Le deuil est plus

facile à vivre aujourd’hui

avec

les

nouveaux

moyens de communica-

tion. J’ai eu des cas de dé-

cès dans des familles dont les

membres ne s’entendaient pas

et que les messages de gens

extérieurs ont beaucoup ai-

dés”

, raconte-t-il. Les derniers

posts des défunts, tout comme

les derniers textos, donnent parfois

lieu àde nombreux questionnements

et interprétations auprès des familles.

Lubin Budel a ainsi été plusieurs

fois sollicité pour accompagner les

proches àdécrypter ces ultimes mes-

sages.

“Les proches ont besoin de se

rassurer. Ils utilisent donc l’écrit et

y projettent des choses pour y trou-

ver du sens. Chacun ne s’approprie

pas le message de la même façon.

Nous, psychologues, nous servons

de ces interprétations pour cerner

les difficultés de chacun”

, explique-

t-il. Depuis quelques années, Lubin

Budel est davantage sollicité pour

travailler à partir d’écrits de jeunes

suicidaires. Si les messages sont ra-

pidement connus par les proches, le

psychologue doit estimer le pourcen-

tage de risque de passage à l’acte.

Quand il est malheureusement trop

tard, ces écrits servent de base de

travail de groupe pour accompagner

les proches dans cette épreuve. Les

nouveaux moyens de communica-

tion font désormais partie intégrante

du travail de deuil et les psycholo-

gues doivent composer avec cette

nouvelle donne.

“Avant, on attendait

le curé pour l’extrême onction. Main-

tenant, on attend un spécialiste de la

communication”

, estime Lubin

Budel.

psycho