

septembre - octobre 2015
•
anform !
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Chacun ya ajouté son ressenti et on
peut arriver à quelque chose de très
différent de l’événement. Rien ne leur
appartient plus vraiment. Ni les fleurs
qu’ils ont déposées, ni leur peine”
,
estime le psycho-sociologue.
“J’AI L’IMPRESSIOn
QU’ELLE ME SOURIt”
Trois ans après le décès de Nicolas,
certains de ses amis écrivent toujours
sur son mur Facebookdes messages
d’anniversaire. Des pratiques qui
peuvent s’interpréter de différentes
manières. Lubin Budel estime, en
effet, qu’elles peuvent exprimer un
besoin de continuer à aimer le dé-
funt, mais aussi une forme de déni.
“Certains n’ont pas envie de faire le
deuil. C’est un refus plus ou moins
conscient de croire une réalité très
douloureuse”
, précise-t-il. Ainsi, c'est
via Facebook que Nathalie a pu ex-
primer le chagrin provoqué par le
décès d’une amie loin de chez elle.
“Quand j’ai appris le décès de Gé-
raldine, j’ai été très peinée. Je suis
allée écrire sur son mur et j’ai regar-
dé longuement ses photos. J’ai ainsi
pensé à elle pendant plusieurs jours
assez souvent dans la journée. Et
pour ne pas la perdre définitivement,
j’ai gardé son compte Facebook : je
voulais préserver un lien comme si
je refusais son départ. Je pense que
quelque part je n’ai jamais accepté
sa mort. Elle est partie trop jeune en
laissant sa petite de 3 ans. C’était
trop injuste. Mais curieusement de-
puis ce message d’au revoir, je ne
suis pas retournée sur son mur mais
je sais qu’elle est là. J’ai enregistré
une photo d’elle et je la regarde par-
fois. J’ai l’impression qu’elle me sou-
rit et qu’elle me voit”
, raconte-t-elle.
Si Nathalie tentait aujourd’hui de
consulter la page Facebook de Gé-
raldine, elle ne trouverait rien. Son
conjoint, Stephen, a en effet rapi-
dement fermé le compte.
“Ça n'a
pas été trop dur et cela est apparu
comme une évidence de le faire rapi-
dement. J'ai gardé les messages qui
étaient sur sa page. Je les montrerai
à notre fille plus tard”
, raconte-t-il.
Stephen n’a pas utilisé Facebook
pour annoncer le décès de sa com-
pagne. Il s’en est en revanche servi
pour remercier tous ceux qui lui
avaient témoigné soutien et sympa-
thie.
“J'ai été très touché par tous
les messages que j'ai reçus pendant
cette période. Ça n'a l'air de rien,
mais ça m'avait fait un bien fou. Cela
m'a permis de me rendre compte à
quel point Géraldine avait laissé de
bons souvenirs partout où elle était
passée”
, confie-t-il.
DÉCRYPtER LES MESSAGES
Ce soutien psychologique du web
participatif, Lubin Budel le considère
comme un point positif du processus
de deuil.
“Le deuil est plus
facile à vivre aujourd’hui
avec
les
nouveaux
moyens de communica-
tion. J’ai eu des cas de dé-
cès dans des familles dont les
membres ne s’entendaient pas
et que les messages de gens
extérieurs ont beaucoup ai-
dés”
, raconte-t-il. Les derniers
posts des défunts, tout comme
les derniers textos, donnent parfois
lieu àde nombreux questionnements
et interprétations auprès des familles.
Lubin Budel a ainsi été plusieurs
fois sollicité pour accompagner les
proches àdécrypter ces ultimes mes-
sages.
“Les proches ont besoin de se
rassurer. Ils utilisent donc l’écrit et
y projettent des choses pour y trou-
ver du sens. Chacun ne s’approprie
pas le message de la même façon.
Nous, psychologues, nous servons
de ces interprétations pour cerner
les difficultés de chacun”
, explique-
t-il. Depuis quelques années, Lubin
Budel est davantage sollicité pour
travailler à partir d’écrits de jeunes
suicidaires. Si les messages sont ra-
pidement connus par les proches, le
psychologue doit estimer le pourcen-
tage de risque de passage à l’acte.
Quand il est malheureusement trop
tard, ces écrits servent de base de
travail de groupe pour accompagner
les proches dans cette épreuve. Les
nouveaux moyens de communica-
tion font désormais partie intégrante
du travail de deuil et les psycholo-
gues doivent composer avec cette
nouvelle donne.
“Avant, on attendait
le curé pour l’extrême onction. Main-
tenant, on attend un spécialiste de la
communication”
, estime Lubin
Budel.
psycho