Previous Page  157 / 172 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 157 / 172 Next Page
Page Background

mai - juin 2016

anform !

157

psycho

avec le monde. Il ya donc une relation

directe entre le salaire et le “soi”. Le

choix de ne pas révéler son salaire tra-

duit souvent une crainte d'être réduit

àce que l'on gagne. Car derrière ce

tabou peut se cacher la crainte de la

jalousie, de la comparaison sociale,

la menace du jugement et la brutalité

du regard de l'autre. S'il est difficile de

parler d'argent, c'est aussi parce que

cela suppose d'accepter d'être évalué.

En effet, dans le “combien je gagne”,

nous ne sommes pas très loin du

“combien je vaux” !

TROUVER DU SENS

Nous avons, pour la plupart, peur de

parler de notre salaire. Pourtant, nous

ne pensons qu'à cela ! En Europe,

notre rapport au travail évolue et

s'inscrit dans une relation d'échange

d'un don contre une récompense :

tout travail mérite salaire ! Surtout

dans le contexte économique actuel

où la crainte de la dette et la peur

du manque ne sont jamais loin. Le

salaire semble être la motivation pre-

mière du travailleur ou du salarié. Ce

n'est d'ailleurs plus vraiment un tabou

quand nous devons négocier notre

récompense devant notre patron

ou lors d'un entretien d'embauche.

Faut-il en déduire que le fameux

“travailler plus pour gagner plus” a

fait sauter ce tabou ? Que, plus on

gagne, plus on est désinhibé vis-à-vis

de l’argent et motivé par son travail ?

Pas sûr ! Le psychologue américain

FrederikHerzberg a montré que si la

rémunération peut être un facteur

de mécontentement, elle ne suffit

jamais à motiver. Pourquoi ? Parce

que l’argent en soi n’est qu’un subs-

titut, une notion abstraite qui masque

notre désir profond. Voilàbien toute

l’ambiguïté de cet argent si durement

gagné. Il est ce qui nous fait vivre et

éventuellement courir, mais il est

aussi ce qui masque notre désir réel,

désir de se réaliser, de s’épanouir, de

trouver du sens àson travail. Un désir

qui, évidemment, ne se négocie pas.

Jacques Lacan explique que l’argent

n’a pas de valeur autre que celle du

signifiant. Comme il permet d’ache-

ter tout et n’importe quoi, il est en

attente de contenu et de sens. Ce qui

explique que, même quand nous en

avons, nous estimons que ce n’est

jamais assez. L'argent ne fait pas

le bonheur. Ce vieil adage prouve

que dans une société de consom-

mation, àla question :

“Combien tu

gagnes ?”

, nous répondons sponta-

nément par une notion d'argent. Et si

“gagner sa vie” pouvait se mesurer,

s'évaluer avec une échelle de bien-

être ou de réalisation de soi ?

Dans le “combien je gagne”,

nous ne sommes pas très loin

du “combien je vaux” !

“Parler d’argent,

c’est impoli !”

je ne parle pas de mon salaire,

ni avec mes amis, ni avec mes

collègues ! je gagne pour-

tant très bien ma vie. je suis

secrétaire de direction depuis

plus de 20 ans mais je ne suis

pas à l'aise avec cela. c’est de

l’ordre du privé. Nous sommes

sur une petite île et peut-être

est-ce une façon de me proté-

ger ? je ne veux pas susciter

la jalousie de mes amis ou de

mes voisins. Dans ma famille, la

notion d'argent est assez tabou.

je pense même que l'argent

amène les conflits et les pro-

blèmes ! beaucoup d'histoires

familiales partent de là. Les gens

sont prêts à se déchirer pour

avoir la part du gâteau dans

un héritage. mon salaire me

permet d'avoir une vie confor-

table et seul mon mari a besoin

de connaître le montant de ma

feuille de paie. pour moi, parler

d'argent, c'est impoli !

Mathilde, 45 ans