ANFORM MARTINIQUE N89

mars - avril 2020 • anform ! 43 2019. L’infirmière me prélève deux tubes. Il ne faut que 3 ml de sérum pour l’analyse. Résultat prévu dans 2 à 3 semaines. 3 semaines plus tard, je me retrouve à la tête d’un document un peu hermétique pour moi qui n’ai pas de compétences médicales particulières. Les analyses ont été réalisées par le Service de pharmacologie, toxicologie et phar- macovigilance du CHUde Limoges. Je lis : recherche et dosage de pesticides organochlorés dans le sérum/plasma. Présence de 4,4 –DDE : 0.177µg/l. Je suis juste au-dessus de la moyenne des Guadeloupéens de 0,14µg/l (voir encadré). Dans une volumineuse parenthèse, technique et peu compré- hensible, on m’explique que le DDT n’a pas été détecté dans cet échantil- lon (je me sens du coup en très bonne santé !). Quant au DDE, ma fameuse concentration de 0,177 µg/l semble totalement ridicule au regard de ce qu’on m’écrit : “Pour la population américaine, la concentration sérique moyenneenDDEestde1,45µg/l” . Je suis rassurée. Ce n’est pas tout. J’ai aussi un taux de PCP de 0,318 µg/l. Là, on m’explique : le PCP est non seulement un pesticide commercial mais aussi un produit de dégradation de plusieurs pesticides et ses concen- trations retrouvées dans l’urine de la population générale n’excèdent pas 5µg/l.Mon tauxà moi est donc ridicule. Bien. Mais au juste, ça veut dire quoi ? J’avoue que je suis un peu désap- pointée. Est-ce grave d’avoir (un peu) de chlordécone dans l’organisme ? MANQUE D’ÉTUDES À partir de quel taux cela peut-il impacter ma santé ? Puis-je dévelop- per un jour des troubles du fait de la présence, même faible, de chlordé- cone dans mon sang ? Peut-on dire que je suis contaminée ? Puis-je me décontaminer ? La lecture de dif- férents articles sur internet ne me permet pas de trouver de réponses. Les médecins eux-mêmes pataugent un peu, faute d’études et de données épidémiologiques. Les remarques de la biologiste Patricia Tamby font écho aux miennes : “Les résultats ne sont pas forcément lisibles pour le grand public. Lesétudesetlerecul n’existent pas. Quelles sont les conséquences exactes du taux dans le sang ? La grille de lecture des risques n’existe pas non plus. Àma connaissance, il n’ya pas localement d’études decas ni demesures systématiques du taux de chlordécone sanguin réalisées par les oncologues sur leurs patients. Cela permettrait pourtant d’avancer dans la connaissance des effets du chlordécone sur la santé.” Ce sont sans doute les limites actuelles de ces analyses : obtenir un taux. Et se débrouiller avec. 90 % de la population Un bilan des contaminations a été dressé par l’Anses ( Évaluation des expositions au chlordécone et autres pesticides , octobre 2018). On sait donc que dans la population de Martinique et de Guadeloupe, la chlordécone est détectée chez plus de 90 % des individus, avec des niveaux contrastés. Ainsi, 5 % des personnes ont une imprégnation au moins dix fois plus élevée que l’imprégnation moyenne en Martinique et en Guadeloupe de 0,14 et 0,13 µg/l. Les personnes les plus exposées sont les consommateurs de poisson d’eau douce et de mer (pêche amateur), de volailles et d’œufs issus d’élevages domestiques en zone contaminée, de légumes racines et tubercules issus des jardins familiaux en zone contaminée… Et bien sûr les ouvriers agricoles. Test gratuit : où en est le législateur ? Un amendement déposé le 17 décembre 2019 par les députés lors de la lecture du projet de la nouvelle loi de finances 2020 prévoit que les populations de Martinique et de Guadeloupe bénéficient d’un dépistage gratuit de la chlordécone. Cet amendement reprend celui adopté début décembre par le Sénat qui prévoit la majoration de 2 millions d’euros des crédits 2020 prévus pour lutter contre l’exposition des populations antillaises à la chlordécone. L’État est “le premier responsable” de la pollution à la chlordécone, selon le rapport d’une commission d’enquête parlementaire présenté fin novembre 2019, qui a demandé des “réparations” .

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