ANFORM MARTINIQUE N82
8 anform ! • janvier - février 2019 rencontre ••• "Vous êtes mes enfants" À 97 ans, George Tarer incarne plus que jamais la femme antillaise. Sage- femme de profession, elle a dédié sa vie aux autres, à la condition féminine, entièrement dévouée et engagée. PAR ANNE DE TARRAGON U ne allure vive. Une sil- houette mince mais solide. Jamais on ne lui donnerait son âge. Et quand George Tarer s’exprime, les yeux pétillants et le verbe habile, l’impres- sion première se renforce. La jeunesse est un état d’esprit. Personnalité forte, indépendante et rebelle, elle n’a jamais cessé d’être dans l’action. Mère, sage- femme, mais aussi présidente de l’Union des femmes guadeloupéennes, adjointe au maire de Pointe-à-Pitre, elle est aujourd’hui encore consultée, visitée, écoutée et interviewée... Insolente George. Quel étonnant prénom ! “Ma mère, femme au foyer, faisant la lessive d’une main, mais lisant un livre de l’autre, était une admiratrice de l’écri- vaine George Sand. Elle choisit donc tout naturellement de me prénommer George, sans “s””. George naît en 1921 à Morne-à-L’Eau. Être sage-femme n’est pas pour elle une vocation pre- mière. Intelligente et bonne élève, ses parents envisagent plutôt une carrière dans l’enseignement. En 1939, le lycée Michelet de Pointe-à-Pitre, où George Tarer est scolarisée, reçoit la visite du gouverneur Sorin. “Cet homme, que j’ai trouvé arrogant, est venu nous dire qu’en ces temps de guerre, on n’avait pas besoin de jeunes filles instruites, mais plutôt de bonnes mères de famille pour repeupler la France. J’étais offus- quée. Et pourtant, ces paroles ont fait leur chemin dans ma tête… D’autant que pour le métier d’institutrice auquel je me destinais, j’étais beaucoup trop indépendante, insolente et têtue.” Une école de sages-femmes est créée en Guadeloupe en 1942 à l’hôpital général, dont il ne reste aujourd’hui aucune trace. George y obtient son diplôme “signé et tamponné par toutes les autorités compétentes. Mais l’école ferme très vite ses portes à la fin de la guerre”. Diplôme en poche, George Tarer qui refuse d’être envoyée à l’hôpital général qu’elle n’aime pas, se voit mutée à Marie-Galante. “Très clairement, c’était une punition. Mais je l’ai relevée. À l’époque, une barge à voile, le Père Labat, trans- portait vers Marie-Galante, hommes, femmes, bêtes et marchandises. Quand il y avait du vent, de la mer, c’était infernal. Pourtant, j’adore Marie-Galante. Je suis restée 2 mois sans voir personne à l’hôpital, car c’était une tradition que les matrones accouchent les femmes dans les sections et les gens étaient méfiants. Il fallait que je me fasse accepter. Le premier accouchement reste un moment important. J’ai compris à ce moment-là combien j’aimais mon métier. En 44-45, j’ai accouché toutes les femmes de Marie-Galante ! J’étais sur les genoux !” Discrimination Quand elle revient en Guadeloupe, elle débute à l’aide sociale, au dis- pensaire d’hygiène, puis travaille à l’hôpital. Son dévouement lors de l’accident du Boeing en 1962 lui vaut d’être nommée surveillante. Elle s’in- vestit pour améliorer les conditions de travail des sages-femmes qui à l’époque doivent brancarder elles- mêmes leurs patientes et obtient George Tarer :
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