ANFORM MARTINIQUE N82
10 anform ! • janvier - février 2019 En 2005, George Tarer a été promue au grade d'officier de la Légion d'honneur. ainsi l’embauche de brancardiers. Elle termine sa carrière en 1981, sur- veillante chef générale. Sage-femme, elle est aussi mère de sept enfants et gère samaison, sa famille et son travail. “Être une mère a changé ma manière d’être sage-femme. Quand j’ai accou- ché, j’ai compris toute la souffrance des femmes et j’ai été encore plus à l’écoute. Une bonne sage-femme doit être patiente et douce. Bien souvent, dans l’attente de l’accouchement, les femmes expriment leurs souffrances, leurs difficultés quotidiennes. J’étais à l’écoute.” Présidente de l’Union des femmes guadeloupéennes, elle lutte contre les discriminations qui les touchent. “J’ai connu des femmes qui restaient derrière la chaise de leur mari pour le servir. Très peu travaillaient à l’extérieur. Elles faisaient la cuisine, le ménage, s’occupaient des enfants, et on dit qu’elles ne faisaient rien ! Aujourd’hui, en ce siècle d’internet, on est toujours en train de se battre. Ima- ginez il y a 50 ans ! Oui, je suis une femme moderne. Je suis surtout une rebelle et j’ai mon petit caractère. Ma mère est morte quand j’étais jeune. Je me suis prise en main et j’ai fait ma vie toute seule. Chaque fois que je vois une femme qui s’en sort, qui a un métier, qui est respectée, c’est une victoire pour moi. J’en suis heureuse, car je les ai vues esclaves.” Misère George Tarer se souvient de ces femmes accouchant dans le dénue- ment le plus total et la promiscuité, parce qu’elles n’avaient pas les moyens d’aller à l’hôpital. Elle raconte : “Un enfant vient me trouver, sa mère ••• accouche. Je pars avec une bouillotte d’eau pure que je sais ne pas trouver là-bas et tout ce qu’il faut pour suturer le cordon, le collyre (les matrones, elles, mettaient du citron dans les yeux des nouveau-nés). J’accouche la dame à genoux sur le sol en bois, en deman- dant aux enfants de se retourner. Mon mari ne voulait pas que je prenne d’argent à ces gens qui de toute façon n’en avaient pas. Lui-même travaillait à l’Institut Pasteur et bien souvent faisait des piqûres gratuitement. Je suis une petite cheville ouvrière. Je remercie le Seigneur car je suis une chanceuse. Je suis reconnue dans mon métier, dans la vie civile et j’ai mis au monde beaucoup d’enfants. Aucun n’est mort, aucune maman non plus. Quand les accouchements se passaient mal, les explications étaient faciles, c’était par exemple la faute à un sort qu’une maî- tresse aurait jeté. En réalité, c’était le manque de soins et de suivi. J’ai vu des femmes arriver la langue section- née lors d’une crise d’éclampsie. J’ai vu des folies puerpérales (psychose apparaissant après l’accouchement, ndlr), des fièvres, des infections, des hémorragies... Tout cela a disparu, grâce à la science, aux médicaments. J’ai été très fière lorsqu’onm’a proposé d’être la marraine de la Maison de naissance Le temps de naître à Baie- Mahault (dédiée aux accouchements physiologiques).” Heureuse Ses enfants ont fait des études, ses petits-enfants grandissent, ont des enfants. “Vous pouvez être avocat, ingénieur, médecin, quand vous arrivez chez moi, tous vos grades restent dehors, vous êtes mes enfants. L’esprit de famille, j’y tiens beaucoup. J’ai eu une vie extraor- dinaire. Mes plus beaux souvenirs, je les vis maintenant. Je rencontre des gens tous grades confondus, qui me disent : “Madame Tarer, vous m’avez mis au monde, vous êtes ma maman”. La joie de mettre au monde un enfant, de le voir vivant et vigoureux reste la même après des centaines d’accouchements. Faire face à la réalité, accepter ce qui est, ça a toujours été mon mode de vie. Ça aide à être heureux.” © ANNE DE TARRAGON rencontre
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