ANFORM MARTINIQUE N114

« Le cocotier, c’est l’arbre de vie par excellence ! Un symbole d’abondance et de prospérité qui donne à boire et à manger. » |anform ! ◆ mai - juin 2024| 69 ◆ Arbre de vie Selon Patrick Solvet, spécialiste des traditions et ancien chargé de la culture à la ville de Sainte-Anne : « À l’époque, pour poursuivre la continuité de ce lien, on remettait au papa un bout du cordon ombilical dans un bocal ou du coton qu’il allait enterrer. » Les gestes sont toujours les mêmes, se souvient le passionné : « Tu creuses un trou, ajoutes du fumier, déposes le cordon entouré de coton pour mieux sécher et le recouvres de terre avec le plant d’un cocotier. » Car s’il existait quelques dérogations à la tradition avec des plants d’oranger, le cordon devait être enterré avec un cocotier : « C’est l’arbre de vie par excellence ! Un symbole d’abondance et de prospérité qui donne à boire et à manger. » De l’avis de la psychanalyste et docteure en sciences humaines Hélène Migerel, « le cocotier est l’arbre-roi, quasi indestructible [qui] confère un rôle de protection, de conservation de la santé [de l’enfant]. » ◆ Symbole L’expérience de Gerty, 89 ans, est différente. D’abord, c’est son cordon séché (qui s’est détaché après 2 semaines) qu’on a enterré. Autre distinction, le rituel a été réalisé avec un plant de canne « derrière la maison familiale », aux Abymes. Pour renforcer le symbole, « depuis petite, on me faisait arroser le plant, en prendre soin pour le voir pousser. C’était sacré à l’époque ! », s’émeut-elle. La pratique de l’enterrement du nombril remonte à l’époque de l’esclavage. Patrick Solvet a pu observer cette tradition chez ses amis caribéens qu’ils soient « de Martinique, Sainte-Lucie ou Haïti ». C’est une manière de fortifier le lien parents/enfants/terroir. « Cette tradition scelle ton ancrage à ton patrimoine, ta culture, ton environnement sur un territoire », explique le défenseur de la culture guadeloupéenne. C’est également le sens de la démarche du grand-père de Joëlle, 44 ans, qui a élevé sa petite-fille : « Enterrer mon nombril sur son terrain montrait son amour pour moi et l’appartenance à la famille. C’était mon arbre et j’ai même eu l’occasion de boire son eau. J’étais contente. » Un rite qui concernait indifféremment toutes les couches sociales de la population. Car si la docteure Hélène Migerel y voit un « monde rural plus attaché au rituel du fait de la proximité avec l’élément terre et des croyances y afférant », Patrick Solvet, 58 ans, se remémore que « les urbains demandaient à leurs parents de la campagne [de pouvoir enterrer le nombril] ». Lui-même, né à Calvaire (Sainte-Anne, Guadeloupe) est le dernier né d’une fratrie de huit enfants. « Tous nos nombrils sont enterrés sur le terrain familial », déclare-t-il avec fierté. Fouillant dans ses souvenirs, il se rappelle que son père lui a parlé de son lonbrik téré peu avant ses 10 ans. « Je n’avais pas conscience de la chose. J’ai juste pris acte. On n’avait pas la curiosité d’aujourd’hui. » Mais il ajoute qu’à force d’en entendre parler dans la famille, d’assister aux rites d’enterrement de nombrils, « c’est répétitif donc on finit par être interpellé et fortifier » sa prise de conscience du symbole. ◆ Ancrage L’avis d’Hélène Migerel est plus nuancé : « Quand [le nombril] est enterré, l’enfant sait qu’il a un lien avec l’arbre, une partie de lui le côtoie. Il ne s’en occupe pas particulièrement, mais l’évoque comme un repère, un ancrage à la terre qui est sienne. » Cependant, la pratique a eu tendance à disparaître. « Les modifications de l’habitat, l’absence de transmission, ont atténué ce rite du nombril enterré qui commence à susciter un intérêt auprès des jeunes générations », remarque la docteure en sciences humaines. Patrick Solvet concède ce nouvel engouement, mais y voit davantage un effet de mode qu’un vrai retour à des valeurs fondamentales comme le respect de la structure familiale.

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