ANFORM GUYANE N79
30 anform ! • juillet - août 2018 Dossier Partir, oui mais… Selon une étude publiée par Opinion Bay, 7 Français sur 10 envisagent de changer de vie. Un phénomène qui n’étonne pas la sociologue Anne-Marie Naud, spécialisée dans les analyses de courants sociaux et les études qualitatives. D’où vient cette tendance ? Notre société a perdu énormément de choses, notamment du lien. Nous sommes dans une société de déré- liction, où l’individu est isolé et seul. Même les liens familiaux sont disten- dus, les grands-parents mis de côtés. Le 21 e siècle n'est pas vieux, et nous vivons en ce moment une crise morale et de valeurs où certaines personnes ressentent le besoin de se réinventer. Changer de vie est intéressant mais ce n’est pas un recommencement. Nous sommes le résultat de notre histoire, alors peut-on vraiment recommencer ? C’est une nouvelle chance, se proje- ter autrement. “Je veux que ma vie me ressemble. Je cherche un travail plus éthique, une vie plus douce, en lien avec des convictions.” C’est donc courageux. Mais il ne faut pas gonfler les attentes. Le mot projet, étymolo- giquement signifie “jeter devant”. On est donc dans l’anticipation singulière et dynamique. C’est quelque chose d’orgueilleux et de courageux. C’est une aptitude àl’auto-réinvention qui est difficile car on est aplati par les déter- minismes, sociaux, familiauxet parfois religieux…Dans les témoignages cités, les personnes ont choisi la rupture, pour se retrouver, donner du sens. Cela veut dire que c’est un phénomène de recherche de l’individu, d’affirmation, de refus de déterminisme. Refuser d’être né quelque part, comme la chanson de Maxime Le Forestier, affir- mer son identité. “Je suis devenu ce que je suis, par moi-même.” Est-il plus facile de changer de vie aujourd’hui ? Oui, au 20 e siècle les changements étaient plus difficiles. Lorsque l’on mettait les pieds dans une car- rière, il était très rare d’en changer. Aujourd’hui, soit on se résigne soit on part essayer quelque chose dans un nouveau monde et réinventer sa vie.Et c’est très culotté.Cela veut dire déconstruire et reconstruire. De nos jours, il ne faut pas réussir dans la vie, mais réussir sa vie. Le concept a changé, c’est le déploiement de la singularisation du sujet. Réussir sa vie, c’est se réussir soi-même. On ne perçoit plus sa vie àtravers la carrière mais davantage par des expériences de vie. On est obligé de développer des stratégies de réappropriation de soi dans un univers d’uniformité. Y a-t-il beaucoup d’échecs ? Il y a souvent des deuils à faire, des renoncements. Tant qu’on est capable de partir, c’est qu’on est capable de fantasmer, de se projeter dans l’imagi- naire.Vous n’êtes pas prisonnier de vos acquis et donc libre. C’est une superbe démarche à condition de ne pas se laisser griser par le fantasme. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de va-et- vient entre ici et l’Hexagone car il y a
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