ANFORM GUADELOUPE N99

novembre - décembre 2021 • anform ! 139 souvent à l’épreuve. “ Je me souviens d’un patient qui était en désaturation d’oxygène (baisse du taux d’oxygène contenu dans le sang, NDLR) . Son état a entraîné un delirium (état de confusion, NDLR) pendant lequel il était très agité et résistait beaucoup à la prise en charge. Même si je suis calme de nature, ce n’était pas évident de rester concentré, car on peut se faire insulter voire taper !” Expérience profitable, mais qui n’empêche pas les difficultés inhé- rentes au métier maintenant qu’il est au CHU de la Guadeloupe. “Depuis mon embauche, j’ai perdu plusieurs patients. Ce n’est pas évident, car on tisse des liens avec eux au fil du temps.” Des liens avec les patients à qui Mauro parle lors des soins, même s’ils sont plongés dans le coma. Des liens avec la famille également qui, dans l’angoisse, à chaque occasion, lui rappelle de prendre soin de son proche et de réussir à le sauver. “Ce n’est pas facile, car ils nous font confiance et quand un décès survient, on se sent mal” , ajoute-t-il le visage grave. “J’ai à la fois un sentiment de tristesse et de colère de n’avoir pu éviter le pire malgré les efforts quotidiens.” Comment ne pas sombrer face à la détresse de la famille et celle de sa propre impuissance ? “Nous avons une cellule d’aide psychologique à l’hôpital. Dans mon cas, ce sont mes collègues plus expérimentés qui m’entourent et sont très présents pour m’aider à relativiser.” À côté de cela, il faut savoir gérer la charge mentale qui pèse particulièrement sur les jeunes soignants comme Mauro. “Je fais beaucoup de randonnées, je promène mon chien, je cuisine et fais même le ménage !” Il rit. “ Tout cela m’occupe l’esprit et me permet d’évacuer.” Soucieux pour son avenir avec cette pression continue ? Non. “Je suis un passionné. Être infirmier est une vocation !” “ON N’EST PAS PRÉPARÉ À ÇA” Pour Chloé, 24 ans, c’est le même métier et la même passion. Mais aussi le même poids des (lourdes) res- ponsabilités sur ses jeunes épaules. Infirmière au service Hospitalisation à domicile de la clinique de Choisy (Le Gosier, Guadeloupe), elle arpente, depuis le mois d’avril, les rues de Pointe-à-Pitre de 6 h 30 à 19 h, au chevet des patients dont elle a la charge. “ Le mois d’août avec la qua- trième vague a été très difficile. Très très difficile…”, dit-elle songeuse. La crise sanitaire avait déjà apporté son lot de bouleversements : réalisations de tests PCR, gestion demasques et extracteurs d’oxygène, peur de la contamination. “Un travail à la chaîne exténuant et les gens qui mouraient, tombant comme des mouches”, s’insurge-t-elle. Car l’aspect psychologique n’était pas des moindres. Perdre sept patients dans une si courte période a été très difficile émotionnellement pour la jeune profes- sionnelle. “Quand on exerce en HAD, c’est totalement différent du milieu hospitalier classique. Tu vas chez les gens, tu t’adaptes à leur mode de vie, tu t’attaches à eux. C’est dur de les voir mourir sous tes yeux !” Et d’ajouter : “On n’est pas préparé à ça. C’est sur le terrain qu’on découvre ce qu’on peut supporter ou pas.” Comme pour Mauro, difficile de respecter la juste distance professionnelle recomman- dée par la profession. “On est au plus près de la famille. Il faut répondre à ses questions, gérer les incompréhen- sions, réconforter, essuyer les larmes. Cela me demande beaucoup d’éner- gie.” Énergie qu’elle n’a plus pour elle. “Je donne tant qu’à la fin de la journée, je suis vidée, KO !” Il faut dire que même de repos, Chloé continuait à penser à ses patients et à prendre de leurs nouvelles. À la limite du burn-out, elle a refusé de sombrer : “J’ai été, heu- reusement, très entourée de mon père et mes frères. L’animation à la maison, les discussions m’ont beaucoup aidée à me changer les idées et prendre du recul.” Et puis, Jocelyne Béroard est passée par là : “Je me suis découvert une passion pour le karaoké. J’adore chanter Pa bizwen palé entre autres chansons locales et internationales.” Elle semble plus détendue. La magie de la musique combinée aux bains de mers nocturnes, passage obligé et quotidien pour se laver de la pression accumulée toute la journée, y sont sans doute pour quelque chose.

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