ANFORM GUADELOUPE N96
mai - juin 2021 • anform ! 51 m’exprime pas encore oralement, mais j’ai fait de gros progrès. L’orthophonie m’aide à mettre en place progressive- ment des mécanismes de langage. La parole ayant été plus altérée que l’écri- ture, j’ai dû trouver d’autres chemins d’expressions. Mais une chose que l’AVC ne m’a pas volée, c’est ma vivacité d’esprit. Il n’a pas altéré mon expertise. J’ai encore en tête tous les projets que j’avais avant. Il y a mis des parenthèses, mais pas de point. Il faut trouver de nouvelles voies pour les partager. J’estime que les séquelles liées à l’AVC et l’aphasie ne sont pas bien traitées en Guadeloupe. Les solu- tions proposées sont souvent limitées. Quel en a été l’impact sur votre vie professionnelle ? J’ai consacré ces cinq dernières années à recouvrer ma santé pour retrouver le plus possible mes capacités motrices. Avant l’accident, j’avais une parfaite maîtrise des langues, j’étais qua- drilingue (créole, français, anglais, espagnol). Paradoxalement, c’est le patois jamaïcain qui revient le plus. Peut-être est-ce lié à mes influences musicales. Conception, coordination, management de projets culturels et créatifs, création, structuration d’acti- vités toutes industries confondues, je coopérais avec la Caraïbe, l’Amérique du Nord, le Brésil, l’Afrique. Grâce aux efforts et moyens déployés durant ces cinq dernières années, je retrouve peu à peu une vie professionnelle qui cor- respond à mes aspirations. Avez-vous été accompagné après votre AVC ? Psychologiquement, j’ai eu le soutien fondamental de mes proches. Profes- sionnellement, je n’ai pas bénéficié d’un réel accompagnement. Pas de dispositif de réinsertion profession- nelle après un tel accident et rien ne correspondait sur le marché à mes compétences. Je ne souhaite pas un poste qui ne corresponde pas à mes compétences et ambitions. Ce serait une deuxième mort. J’ai participé à une journée sensibilisation AVC orga- nisée par l’ARS. Initiative intéressante bien qu’elle ne m’ait pas été fructueuse. Quel est votre regard sur votre vie professionnelle ? Elle a considérablement changé dans sa forme, mais dans le fond, l’AVC ne m’a pas enlevé ma détermination. Il y a une phase d’acceptation de l’acci- dent. Puis il faut repenser sa vie de façon globale, en tenant compte de nouvelles contraintes liées à un han- dicap quel qu’il soit et composer le reste de sa nouvelle vie avec lui. Le retour à la vie professionnelle dépend du temps que l’on met à accepter cette nouvelle vie. Je réalise qu’après 5 ans, tout reste à faire. C’est notre société antillaise qui est “handicapée”. Je fais toujours un parallèle entre ma situation de dépendance liée à mon accident et mon handicap actuel, et la situation de dépendance de nos territoires insu- laires qui constitue aussi une forme de handicap. Quels sont vos futurs projets ? J’ai à cœur de développer d’anciens projets qui sont plus que jamais d’actualité. Certains besoins n’ont toujours pas été assouvis sur nos marchés insulaires qui manquent de légitimité. Je souhaite valoriser nos entreprises, nos marques, de façon plus singulière et créative, leur donner un vrai fond stratégique pour qu’elles soient viables y compris à l’export. J’avance sans accompa- gnement institutionnel, mais avec mon entourage. Ma plus grande bataille reste de continuer mes efforts pour retrouver le langage. J'ai maintenu le contact avec mon réseau professionnel à force d’ini- tiatives personnelles. Le retour au travail, en plus de ma famille, est un stimulant puissant qui me pousse à progresser. © SHUTTERSTOCK, © DR
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