ANFORM GUADELOUPE N93

novembre - décembre 2020 • anform ! 73 l’équipe soignante gère toutes sortes de pathologies, des troubles liés aux accidents neurologiques type AVC, des soins respiratoires, avec un peu plus de traumatologie évidemment liée aux bagarres. “Certains s’aspergent d’eau bouillante ou d’eau de javel” , raconte le Dr Pierrick Pollion. RÉDUIRE LES AGRESSIONS Deux hommes patientent assis sur un banc, dans une salle d’attente pas comme les autres, aucune revue à la main. Des barreaux les séparent d’un couloir donnant accès à différents ser- vices (dentaire, médecine générale, ophtalmologie et un des derniers-nés, l’hypnothérapie). Un soin disponible depuis janvier 2020 au sein de l’USS, dans le cadre du programme régional de lutte contre les addictions mis en place par l’Agence régionale de santé de Guadeloupe. “Les nouveaux arrivants sont souvent polyconsommateurs. En prison, ils n’ont pas le choix d’ar- rêter ou en tout cas de diminuer leur consommation. Alors j’interviens pour limiter les symptômes liés au sevrage, mais aussi aux conditions d’enferme- ment et à la surpopulation carcérale”, explique Karine Berti, hypnothérapeute. Prévue pour accueillir 480 hommes, le site reçoit en réalité 730 détenus. Certaines cellules pour quatre comptent jusqu’à neuf couchages. À la maison d’arrêt des femmes, elles sont au nombre de trente. L’hypnose repré- sente alors un outil complémentaire à la prise en charge globale qui tend à réduire les agressions. “Un individu soigné est un individu calme” , souligne le chef d’établissement, Jean-Pierre Charpentier-Tity. Comme tous les soi- gnants de l’USS, Karine travaille seule, sans surveillant pour garantir un climat de confiance. “ Je n’ai pas peur. J’ai un profond amour de l’être humain. J’observe beaucoup et ne tiens pas compte du passé. Il peut arriver que les détenus se confient, mais cela reste leur initiative. C’est une question d’éthique et de principe de toute relation d’aide.” En cas de danger, le surveillant n’est jamais très loin et un dispositif d’alerte existe en cas d’attaque. Mais, aux dires de l’équipe médicale, il n’a jamais servi. ÊTRE INVESTI Karine reçoit dans une ancienne cellule de 12 m 2 où sont disposées deux chaises. “Lors d’une séance de 45 min, j’amène la personne dans un état de conscience modifié. J’échange avec des représentations tirées de son imaginaire. Par exemple, la colère devient un lion qui rugit que j’amène à ressembler à un chat, puis un chaton...” Karine ne juge pas. Elle a une facilité à se connecter à l’humain, à l’autre. “J’aide chacun à trouver en lui les ressources qui lui permettront de dépasser un problème personnel, trouver la sérénité.” Un challenge et un luxe dans cet endroit souvent bruyant. Un homme chante en passant les sas de sécurité. Au loin des cris résonnent, les portes claquent. Son trousseau de clé à la main, Bruno, surveillant de l’in- firmerie épie le moindre déplacement. Sur la vitre qui le sépare du couloir sont scotchés les plannings des kinés, les horaires de promenades de la maison d’arrêt, une note d’hygiène contre le coronavirus... “Je fais en sorte que les détenus appartenant à des gangs rivaux ne se croisent pas. J’essaie de faire le maximum pour mes collè- gues.” Bruno travaille au centre depuis plus de 20 ans et tient ce poste depuis 2 ans. À entendre l’équipe soignante, il est un peu la clé de voûte du service. Il assure la sécurité et permet le lien entre les secteurs de soins de plus en plus nombreux. “Le but, c’est de limiter les extractions médicales. En ce moment, on installe un service de radiologie”, explique le chef de service de l’USS, le Dr Pollion. “Tout le monde n’est pas fait pour ça, mais “Fred le kiné” a du bagout. C’est une grosse plus-value. Il s’intéresse aux histoires, mais ne dépasse pas les limites. Nous veillons à recruter des gens stables et investis dans la durée. Chacun a sa technique d’approche. Il y a un échange éner- gétique ici. Les gens arrivent énervés et on doit pouvoir les apaiser.” Fré- déric surenchérit :  “Les détenus sont contents de venir nous voir. En général, il y a une bonne ambiance, car il y a un vrai respect des blouses blanches et l’équipe pluridisciplinaire est hyper- soudée.” Le chef de service conclut : “Il faut avoir un certain équilibre pour arriver chaque matin en forme. Cela fait encore plus apprécier les choses simples de la vie extérieure.”

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